« Puisses-tu écouter, garder et mettre en pratique ce qui te rendra heureux ! » (Dt 6, 3)

 Fondées en 1983, faisant partie de la famille dominicaine, les Petites sœurs de l’Agneau vivent l’Évangile dans la prière, la vie fraternelle et l’abandon à la Providence, pour l’annonce de la Bonne Nouvelle à tout homme. Avec la Vierge Marie, elles gardent en leur cœur la Parole de Dieu « à la maison comme sur la route » et la célèbrent amplement dans la liturgie.

« Puisses-tu écouter, garder et mettre en pratique ce qui te rendra heureux » (Cf. Dt 6, 3). Ce qui nous est indiqué là est un chemin de bonheur ! Nous, les chrétiens, nous avons en effet reçu un trésor ; et nous n’en finirons jamais d’en découvrir les innombrables richesses. Ce trésor, c’est la Parole de Dieu.

Cette Parole n’a rien à voir avec les autres paroles : il s’agit de la Parole de Dieu. C’est Dieu qui nous parle ! Ceci est la foi de l’Église depuis toujours, mais le concile Vatican II l’a précisé avec une grande clarté, notamment lorsqu’il est dit : « Dans les Saints Livres, le Père qui est aux cieux vient avec tendresse au devant de ses fils et entrent en conversation avec eux. » (Dei Verbum, n. 21). Dieu s’adresse à nous, à chacun de nous ; aujourd’hui, il entre en conversation avec nous, « pour nous inviter et nous admettre à partager sa propre vie » (Dei Verbum, n. 2). Et Dieu attend de nous que nous écoutions : « Écoute, Israël ». Telle est la grande supplication qui traverse toute la Bible.

  Dans notre communauté, nous avons une manière de prier avec la Parole de Dieu qui consiste à répéter plusieurs fois chaque verset et ainsi, petit à petit, à apprendre l’Évangile par cœur ou plutôt « par le cœur ». Il s’agit de la « manducation ». Ce mot vient du verbe latin manducare qui signifie : manger, mâcher. Jésus lui-même cite ce verset du Deutéronome : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (cf. Dt 3, 3). Oui, la Parole de Dieu est bien une nourriture et, pour vivre de la Vie divine, notre âme a besoin de s’en nourrir ! Cette habitude de répéter la Parole de Dieu, de la « manger », a été pratiquée par de nombreux priants au cours des siècles, notamment par les Pères du désert et, à leur école, par notre Père saint Dominique. Nous essayons de mettre nos pas dans les leurs et d’accueillir cette Parole de Dieu comme des « tout-petits » qui sont prêts à se laisser enseigner, à recevoir de l’Esprit Saint la révélation du mystère de Dieu. « Manduquer » la Parole de Dieu peut, en effet, nous introduire dans ce dialogue : « Qui es-tu, Seigneur ? Et qui suis-je ? Quelles merveilles accomplis-tu pour nous ? À quel pas de conversion m’appelles-tu ? Comment rayonner davantage de ta charité pour le monde ?».

  Et cette manducation de la Parole de Dieu peut se vivre en tous lieux et en tous temps, à plusieurs ou personnellement, à haute voix ou intérieurement. Si on y réfléchit bien, il y a toujours un petit refrain qui occupe notre pensée malgré nous : une remarque blessante que l’on a reçue, une déception ou au mieux un projet, une mélodie… Eh bien, au lieu de « manduquer » n’importe quelle idée qui nous traverse l’esprit, on peut avoir l’Évangile du dimanche sur un bout de papier dans sa poche ou choisir un verset de la Bible auquel revenir dans les instants libres au cours de la journée. Ainsi notre vie pourra être imbibée par le goutte à goutte de la Parole de Dieu.

  Une petite sœur nous a un jour donné ce témoignage à propos de la persévérance et de la patience avec laquelle nous devons « garder » la Parole de Dieu pour en goûter la saveur. « Pour moi, disait cette petite sœur, au début, la Parole de Dieu n’avait pas beaucoup d’attrait. Puis, peu à peu, j’ai compris qu’on peut la comparer à une noix. Il faut prendre le temps d’en briser la coque pour découvrir combien ce fruit est délicieux ! » « Garder la Parole de Dieu », la répéter dans la prière comme des amoureux qui, inlassablement, se répètent les mots d’amour de la personne qu’ils aiment, nous permet petit à petit de goûter la présence de Dieu et nous conduit ainsi à une rencontre intime avec la Trinité. « Si quelqu’un m’aime il gardera ma Parole, mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous ferons une demeure chez lui … » (Jn 14, 23).

  Et, chemin faisant, la Parole de Dieu nous appelle à la conversion en mettant en lumière notre misère, notre péché, « comme un glaive qui pénètre au point de division de l’âme et de l’esprit » (He 4, 12). Découvrir sa pauvreté n’est pas toujours très agréable. Mais nous expérimentons en même temps cette bonne nouvelle : la Parole de Dieu est capable d’opérer en nous cette conversion. Car la Parole de Dieu est «vivante et efficace » (He 4, 12). C’est une Parole créatrice ! Dans le récit de la Création, Dieu dit… et cela existe. Par exemple : «Dieu dit : ‘Que la lumière soit !’ et la lumière fut. » (Gn 1, 3). De la même manière, la Parole de Dieu fait en nous ce qu’elle dit : elle nous recréé, nous guérit, nous transforme, nous convertit. Alors, en nous laissant interpeller et même bousculer par la Parole de Dieu, en la laissant agir en nous, en la laissant nous transformer, nous pouvons, pauvrement mais résolument, la « mettre en pratique ».

  Quelquefois encore, la Parole de Dieu vient explicitement à notre aide. Et, tel verset gardé dans notre cœur, murmuré, prié longuement, jaillit soudain du plus profond de nous-mêmes au moment où nous avons besoin d’un secours divin, nous arrachant à la tristesse et au découragement, nous délivrant d’une tentation ou apaisant en nous la colère, le ressentiment… « Garde la Parole et elle te gardera ! », disait Saint Bernard.

  Comme vous le voyez, la manducation de la Parole est une chose très simple, mais elle produit des fruits en abondance. Pour y être fidèles, nous nous confions à la Vierge-Marie, elle qui « conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19), elle qui a tant reçu à cause de sa petitesse.