Témoignage d’Yvon TIBBAL, prêtre du Prado
Prêtre du diocèse de Lyon (1826-1879), Le père Chevrier, béatifié par le pape Jean-Paul II le 4 octobre 1986, a consacré sa vie aux plus démunis et à la formation d’apôtres pauvres pour les pauvres. Aujourd’hui encore, à l’exemple de leur fondateur, les prêtres du Prado, insérés dans leurs différents diocèses pour annoncer la Bonne Nouvelle de l’Evangile, travaillent en priorité à l’évangélisation auprès des plus défavorisés.
Pourquoi "cette préférence pour les pauvres" ?
Parce que "C’est là où il y a le plus de détresse, de manque, de souffrance, de déshumanisation, d’humiliation que se porte la préférence de l’amour de Dieu pour sauver, réhabiliter... » ( Constitution du Prado) "Dieu n’aime pas la pauvreté, il aime les pauvres. Le choix préférentiel des pauvres n’est un choix de l’Église que parce qu’il est d’abord choix de Dieu..."
Prêtre du Prado, aumônier au Centre de détention Régional de Saint-Sulpice pendant 21 ans, (1990-2011), je suis conscient d’avoir participé à l’humanisation et à l’Evangélisation des prisonniers‘‘dans une volonté de promotion de tous qui les respecte et les valorise... afin qu’ils se prennent en main eux-mêmes..." Ce qui n’est pas évident dans cet univers que sont les prisons !
En contact direct avec ces personnes en détention, souvent en mal et en grande souffrance, parfois dans des situations humaines impossibles, j’ai été marqué humainement et spirituellement par ces jeunes que je rencontrais individuellement dans la cour ou dans leur cellule.
J’aurais beaucoup à dire, particulièrement si je devais exprimer leurs attentes pas uniquement ‘matérielles’ mais surtout ‘morales’ !
Comment rester insensible et ne pas se poser de questions devant tant de situations humaines inextricables concernant ces jeunes : "Beaucoup, la plupart, sont des blessés de la vie, mal aimés dans leur enfance, sans vraie formation. Commence alors le cercle des exclusions : sans famille, sans travail, sans hébergement, sans argent, pour finir ‘prisonnier’ » (un aumônier de Maison d'Arrêt)
Je crois personnellement que la prison achève de les abimer, (physiquement, et bien sûr psychiquement, ne parlons pas sur le plan moral, avenir, etc.) au lieu de les aider à se réinsérer. Le pourcentage de récidive est important.
Ecoutons plutôt ce que dit un médecin croyant catholique dont le fils a été assassiné dans la rue à Marseille:
« Je me bats pour que l'on enferme les fautifs, mais aussi pour qu'ils aient des chances de ne jamais recommencer : on ne peut rien améliorer sans respecter l'homme, même le pire qui soit. Vouloir une prison malsaine, c'est encourager la récidive, c'est admettre que la haine est le moteur de nos relations. »
Quelques aspects de mon ministère ou « clés » pour communiquer avec eux, et témoignages de détenus !
L’important, c’est l’ECOUTE :
· Dans ces partages on ne doit jamais oublier le respect de l'autre... Ne jamais porter de jugements (ils ont été jugés !)
· Un signe : Musulmans, croyants, non croyants, tous m'appelaient : «Mon Père».
Je me disais que les détenus auront peut-être une image du Christ proche d'eux. N'est-ce pas, l'humanité, la fraternité de Jésus de Nazareth qui permet à Marie-Madeleine, la Samaritaine, et d'autres..., de l'approcher, de s'exprimer, puis de se relever dans leur dignité, et enfin de croire ?
· l’importance des rencontres à la chapelle avec le partage eucharistique le dimanche et un profond sile nce qui en dit long...
Ce qui m’a permis de tenir ?
Ce sont les détenus eux-mêmes qui me permettaient et me demandaient de tenir ! Et sûrement un nommé JESUS-CHRIST !
Quelques témoignages de détenus :
Celui de Raymond qui m’écrivait : « En détention j'ai eu beaucoup de temps pour réfléchir, pour méditer sur mes erreurs passées et entrevoir un avenir plus serein en donnant un vrai sens à ma vie. Ce n'est pas un vœu «pieux» c'est une vraie volonté de ma part. De vous connaître a conforté cette évidence. »
ou bien celui de Gilles : "J'ai besoin de recueillement non seulement pour exprimer à notre Dieu mes sentiments mais le fait aussi de se retrouver tous pour partager nos joies ou nos soucis. (à la messe tous les dimanches matins) "
EN CONCLUSION :
Comme le dit le père Chevrier, "ce sont les pauvre qui nous évangélisent" ; et je le redis : ce sont les prisonniers, ces êtres humains si déshumanisés, qui m’ont aidé à tenir OUI, prêtre du Prado sur les traces du père Chevrier, c'est par une présence fidèle, régulière et fraternelle auprès des plus fragiles que nous participons à leur humanisation et donc à la victoire de la vie sur la mort avec la présence de Celui dont nous sommes disciples :
Jésus-Christ !
C’est là un appel à étudier sans cesse l’Évangile à la manière du père Chevrier et, pourquoi pas à "former des apôtres pauvres pour les pauvres."
Extrait de l’intervention de Mgr Christian KRATZ, évêque auxiliaire de Strasbourg à l'occasion de l'engagement temporaire des abbés Alimasi et Becker , prêtres du Prado :
« ... Je souhaite tout particulièrement que Pierre et Olivier qui se sont engagés aujourd'hui puissent toujours trouver leur identité et leur joie dans le service ministériel et que leur engagement porte beaucoup de fruits.
L'Eglise n'est l'Eglise du Christ que dans la mesure où elle s'enracine profondément en lui pour aller à la rencontre des hommes auxquels elle a la mission de révéler la tendresse et la proximité de Dieu. Bonne route à tous et encore merci pour ce que chacun est et fait ! »